My Year Of Love (final)
1. Garden State – Zach Braff

Comment juge-t-on un film ? Il y a deux façons de voir qui je crois, ne se chevauchent pas. La première, pour les films anciens, est de voir, revoir, revoir, analyser, découper et décrypter un film pour en tirer le sens profond, quand il existe. Forcément, c’est la plus noble façon et elle s’exerce précisément sur les films nobles : films de grands maîtres, films en noir et blanc, films matures tout simplement, de plus de quatre ou cinq ans. L’autre façon, c’est la façon immédiate, celle qui s’applique quand on va voir un nouveau film, au cinéma. Le meilleur test, c’est de voir si les jours suivant le projection, on se souvient encore de scènes, d’instants, de musique du film. C’est simple : on fait marcher le feeling, les souvenirs, la façon dont le film intègre notre mode de pensée. En gros, il suffit de se poser deux questions : où en étais-je avant de rentrer dans le cinéma et où en suis-je maintenant que je viens d’en sortir ? J’ai la prétention de penser que les données de la seconde méthode se recoupent avec celles de la première.
Pour Garden State, c’est simple : moins de cinq minutes après la dernière lettre du générique, je fouillais le bac du Virgin Megastore à la recherche de la bande annonce. Le lendemain, je décorais mon nouveau carnet Moleskine aux couleurs du film. Deux mois plus tard quand il repassait au cinéma, je le revoyais deux fois. Trois ou quatre mois après, un ami me ramenait le dvd des Etats-Unis. Voilà ce qu’est Garden State. Ce ne serait même pas la peine d’en rajouter. Bizarrement, je réalise que j’ai du mal à chroniquer ce film, tout comme j’ai eu du mal à chroniquer pas mal de films récemment, à part le Cash peut-être.
L’histoire est dans l’air du temps (rien qu’à voir Lonesome Jim et Rencontre à Gabrieltown) mais Garden State est bel et bien le premier à l’avoir raconté (sorti en 2005 en France mais un ou deux ans avant aux USA. Andrew Largeman, inspirant acteur, la vingtaine tassée, est parti tenter sa chance à Hollywood. Résultat : il est serveur dans un restaurant vietnamien. Le jour où sa mère meurt, il doit retourner dans son New Jersey natal, retrouvé les amis qu’il avait oublié, laissant ses calmants, ses peurs et ses déceptions en Californie. A Jersey (surnom : Garden State) il tentera de faire la paix avec son père, il tombera amoureux d’une fille prénommée Samantha et hésitera entre fuir ses anciens amis ou les prendre dans ses bras. En fait, il n’y a pas vraiment d’histoire dans le film : le film n’est que la capture d’un moment, mais il en sort parce que toutes les histoires dont nous avons besoin se sont déroulé hors du temps du film et s’expriment, transpirent, dans chaque plan. La simple vision de l’appartement d’Andrew à Hollywood et nous connaissons tout de sa vie et de sa solitude, un seul plan de lui ouvrit son armoire à pharmacie, ce qui sépare les deux pans de la glace qui reflète son visage, nous indique son état actuel, son état de toujours, la répétition habituelle des gestes. Une simple photo de sa mère en fauteuil roulant, posée sur son cercueil, nous montre le mélange d’empathie et de dégoût que pouvaient ressentir Andrew envers elle et nous prépare à des révélations ultérieures, c’est Andrew qui est la cause de sa paralysie et c’est pour ça qu’il est sous médicament et qu’il a quitté le New Jersey. Un simple regard de l’un de ses amis, fossoyeur, alors qu’il retire des bijoux d’un cadavre, les deux pieds dans le cercueil et l’on comprend en même temps qu’Andrew qu’il a fait la même chose à sa mère, ce qui introduit la dernière partie du film, la quête pour récupérer les bijoux qui les mènerait jusqu’au bout du monde, à côté de chez eux. Enfin, car on ne pourrait les faire tous, un seul rire sortant de la bouche de Samantha (Natalie Portman) et l’on sent là que l’on vient de faire la rencontre la plus importante de notre vie, un seul regard aux autocollants sur son énorme casque, une seule seconde de la musique des Shins qu’elle écoute et l’on comprend qu’on ne pourrait lui échapper, qu’on la rencontrera dans la ville au moins deux fois par jour, qu’à chaque fois les mêmes regards s’échangeront, alors autant se lancer tout de suite. Un petit dernier ? Un seul tour dans la maison de Samantha, des hamsters du rez de chaussé au cimetière des animaux dans le jardin, en passant par sa chambre et sa collection énorme de vinyles, et l’on sait exactement qui elle est, comment elle a grandi, et ce qu’elle veut.

La plupart des avis sur ce film disent que c’est un film maladroit, que c’est un petit premier film et que ça se voit. Dans ces moments, j’ai toujours du mal à croire que je suis vivant, actuellement, dans ce monde-ci. De toute l’année, mis à part Life Aquatic et Locataire, je n’ai vu de film plus maîtrisé et abouti. Chaque simple décor est travaillé, il parle et nous en apprend plus que ce qu’aucun fil narratif n’aurait pu le faire, chaque chanson de la BO est à sa place au bon moment, chaque plan à son ressort comique (la vue aérienne pendant que Sam et Andrew essaie d’éviter la flèche qui retombe, l’arrivée de Kenny qu’on ne voit pas et qu’on prend pour un policier violent, etc.) Est-ce que Last Days peut en dire autant ? Je ne crois pas et pourtant j’adore Van Sant, mais en 2005, Zach Braff en terme de cinéma a été plus fort que Van Sant. Et vachement moins prétentieux en plus.
Garden State est une comédie et bien plus que cela. C’est un apprentissage, celui de la vie, en quelques chemins et erreurs. Andrew Largeman va d’Hollywood, où il est un acteur raté, au New Jersey où il est dans le désordre : un fils, un ami, un danger, un malade, un football attardé, un gars sympa. Mais le plus important, c’est qu’il sort de sa route toute tracée. Là où il prenait toujours les avions, où il revenait chez lui parce qu’il y était obligé, où il prenait sa voiture par telle habitude qu’il oubliait d’enlever la pompe à essence de la réserve de carburant, à la fin du film il laisse tomber le vol qu’il devait prendre et qu’il avait prévu depuis son arrivée, pour rester avec Samantha. Il oublie tout ce pourquoi il s’était programmer, parce qu’il s’était programmer pour l’échec. C’est ce que signifie son rêve au départ : dans un avion, tout le monde sauf lui est effrayé par le crash que se prépare. Ils savent tous qu’ils vont mourir et il est le seul à ne rien faire pour l’empêcher, aussi dérisoire ces gestes soient-ils. A la fin, dans l’avion, il est le seul à se dire qu’un crash se prépare. Il sait. Il comprends. Il sort. Et nous offre une scène qui peut rivaliser avec celle du requin jaguar dans Life Aquatic. Où en étais-je en sortant du film ? J’avais fait un rêve, qui m’avertissait de ci, de ça, et en sortant de la salle, je sortais en courant de l’avion, et en cherchant de les rues d’une ville inconnue, j’espérais trouver Samantha.

Bande annonce :
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