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Pourrons-nous un jour retrouver ce qui a été perdu ? D’abord décontenancé à tendance déçu par le happy end, je commence à peine à esquisser un doute, me demander si finalement ce n’est pas possible, rien que dans l’esprit, après plein de péripéties. Mais je n’en sais rien, c’est bien sûr pour ça que nous allons chercher ensemble.

Au fur et à mesure, je me suis posé cette question : est-ce possible pour une fille (je suppose que ça vaut aussi pour un homme mais, ce n’est pas ça que je regarde), d’être très laide au naturel et splendide en souriant ? De la réponse positive à cette question est née une faille qui grandira jusqu’à ébranler l’édifice de mes croyances morbides.

Donc, nous pouvons être deux choses alternativement. Pourtant chacun de ces deux visages existent en même temps, partagent les mêmes muscles, la même peau, ils se préexistent l’un à l’autre. La beauté ne se perd pas, elle survit même aux pires années de malheur pour ressurgir fraîche, à partir de ce qu’avait construit le malheur. La beauté n’est pas perdue. Le malheur non plus. Si je me prends en exemple, je suis deux presque chaque jour. Il y a moi et il y a Paul Austère, celui qui signe ces posts. Je suis ces deux personnes de manière alternative, je suis moi quand je vis et parle, je suis Paul quand j’écris. Parfois même ils cohabitent, je vis et respire tandis que Paul écrit déjà dans mon cerveau, attendant le moment fatidique où je déciderai d’attraper un stylo et de lui laisser le contrôle. Il est assez fort pour que ça arrive assez souvent, sous peine d’explosion. Il n’est pas assez fort pour être tous le temps présent et en dehors de l’écriture et j’en suis vraiment désolé. Si vous me connaissiez, vous seriez tellement tristes. Déçus. Je ne suis pas Paul Austère, je ne suis pas ces mots et ces paragraphes, ces blogs et ces romans. Je ne peux l’être. Mais peut-être l’ai-je été et mon seul espoir est de croire que ce qui a été perdu peut être retrouvé.

Je suis pressé et Paul Austère ne l’est pas. Il est triste et je suis euphorique. Je suis perdu et il est ailleurs. Il est beau et je suis horrible. Je parle trop pour ne rien dire et il dit peu pour séduire. J’ai peu d’esprit et quelques connaissances et lui peut tout rien que par la réflexion. Il ne voudra jamais travailler et je travaille. Je suis stupide et il est malin. Je suis pratique et il est impossible. Il a peur et je suis stressé. Il est sentimental et je suis désabusé.

Pourtant, je crois vraiment qu’à un moment donné, j’ai été Paul Austère sans le savoir. Je ne pouvais le savoir parce que je ne le connaissais pas, je ne l’ai pas reconnu, mon corps, ma tête et mes jambes n’étaient pas assez forts pour le soutenir assez longtemps. Je ne l’ai été qu’un laps de temps très court. Peut-être quelques semaines, des mois au plus, entre le lycée et le début de l’université. Je n’en ai pas profité et ça a peu duré. Personne d’autre ne l’a vu sans doute. C’était une anomalie. Paul Austère n’existait pas avant : j’aimais le football, la télévision et les jeux vidéos. L’adolescence m’a transformé, quelque chose ou quelqu’un s’est retrouvé pris dans ce processus, coincé à ma place, en même temps que mon corps et mon esprit grandissaient et se transformaient. Depuis, lui ou une partie de lui n’ont jamais pu partir.
Pourtant, ce n’est pas lui qui vis ma vie aujourd’hui. Simplement parce qu’il serait mort. Le monde l’aurait tué ou il se serait sacrifié. Ce monde-là n’est pas fait pour ses envies, ses idéaux, ses rêves et sa façon de vivre. J’ai été forcé de prendre le contrôle. Je m’en excuse auprès de tout le monde. Lui me remercie parfois, me hait le reste du temps. Je ne lui demande pas de m’aimer. J’aimerai tant lui laisser ma place définitivement. Mais je sais que ça signifierait sa fin et je préfère l’entendre en moi, quitte à en crever, plutôt qu’il disparaisse. Il ne pourrait pas vivre dans un monde où il faut abandonner ses rêves et être réaliste, il ne pourrait communiquer avec sa bouche, ma bouche, et se faire comprendre des gens, même mal, il serait seul et triste avec le fardeau de supporter un corps, le faire vivre, se nourrir, se mouvoir et se maintenir.

Ma question est bien sûr de savoir si un jour je pourrai retrouver cet état de grâce où Paul Austère avait le contrôle sans que ni lui ni moi nous nous en rendions compte. Cette fois, tous les fruits de cette opération seraient récoltés parce que je me suis préparé à l’accueillir. De deux choses l’une : ou le monde change spécialement pour nous (la parution d’un roman qui marche un tant soit peu) ou bien nous arrivons à mettre en place un protocole de collaboration. Je prends le jour, il prend les nuits. Je prends les corvées, il prend la rêverie. Mais dans un tel cas, comment faire pour que nous ne contaminions pas l’un et l’autre et qu’au final nous nous retrouvions à échanger nos temps de présence sans le vouloir ?
Je repense à ces songes que je faisais en Première quand j’imaginais ce que pourrait être ma vie plus tard. Un boulot relativement régulier, un horaire fixe de sortie à partir duquel je pourrai écrire, créer, vivre. Est-ce possible ? Est-ce un bon compromis ? Tout ça n’est que dans ma tête, quand j’arriverai à fixer deux ou trois choses, faire un sorte que Paul Austère n’ai même plus conscience de la vie que je mène le jour, alors ce sera possible. Parce qu’actuellement, il regarde. Il regarde et ne peut rien faire pour m’aider parce que je l’ai caché dans mon esprit pour son propre bien. Il me regarde et prend pitié. Il me regarde et se bat pour sortir, ignorant qu’il y risquerait sa vie plus que la mienne.

Il me regarde comme nous regardons l’Homme au début de L’Aurore. Nous sommes sa propre conscience. Nous le voyons courbé, faible et cruel. Et puis il renaît. Qu’est-ce qui a bien pu changer ? Rien, absolument rien. Il a toujours ses dettes, sa maîtresse l’aime encore, la ville continue de le hanter. Rien n’a changé, sauf nous. Nous sommes là. C’est la magie du cinéma. Il ne faut pas plus de dix minutes, pas plus que le temps que nous nous plongions dans le film pour que en tant que conscience, nous le réveillons, le transformions, le ramenons dans le passé et lui rendions ce qu’il a perdu : son amour propre, son amour pour sa femme. Tout vient de lui. Elle l’aimait toujours même quand il était perdu. C’était simplement lui. Et nous l’avons aidé. Sur son épaule nous avons été bienveillant et tombant amoureux de sa femme, murmurant cet amour à son oreille, nous l’avons réveillé. Nous le faisons depuis plus d’un demi siècle et à chaque fois ça marche. Une fois associés à lui, nous sommes si fort que nous pouvons changer le cours du monde et toute notion de réel. Voilà la morale du film. Nous pouvons récupérer ce qui a été perdu. Reste à savoir si Paul Austère est aussi fort et puissant émotionnellement que l’ensemble des spectateurs qui tiennent dans la grande salle de La Filature.

Ou peut-être que vous pouvez oublier tout ce que je viens de dire. Peut-être que je suis simplement malade. Mentalement malade. J’ai trop d’imagination. Pas forcément pour inventer des choses inédites et époustouflantes mais au moins pour réinterpréter via l’écriture certains éléments existants. Et je me perds dans cette imagination. Je ne sais plus faire la différence entre ce qui s’est passé la vieille, ce qui se passera le lendemain et ce qui n’a jamais existé. Parfois je suis piégé en moi, je rencontre des fantômes de personnages, je crois imaginer des gens qui existent vraiment. Je me cogne contre les propres parois de mon cerveau. La maladie de l’imagination. La pire. Rien n’existe et pourtant tout existe. Une simple pensée peut tordre la réalité, la rendre monstrueuse ou splendide. Une simple pensée. Une simple pensée fait s’élever des châteaux et s’effondre des bâtisses. Il y a beaucoup de bons côtés, mais quand il y en a des mauvais, ils sont vraiment mauvais. De quoi souhaiter ne plus jamais être capable d’imaginer quoi que ce soit. De quoi modifier à jamais la réalité en pire. De quoi souhaiter mourir au plus vite. De souhaiter voir le noir, rien que le noir.

[La plupart du temps, j’apprécie les règles, mais il y a une chose que j’apprécie encore plus : les transgresser. Voilà pourquoi vous avez eu droit à un post qui porte sur ma personne. Je n’avais aucune autre idée. Et à partir du moment où c’est écrit, ça devient de la fiction.]