Tu parles de révolution …
C’est partout, nulle part. Dans les journaux, les magazines (Inrocks de mardi), les bouches flétries par les regrets. Cet événement hypothétique qui en rappelle fortement un autre, imaginaire celui-là.

La Révolution.
Mai 68.
Mai 06.
Et si c’était vrai ? Et si ça revenait ?

Par quoi commencer dans ce nœud d’indulgence et de mensonge ?
Mettons les choses au point : j’ai beau ne pas y avoir été, je peux affirmer que Mai 68 n’a pas été une Révolution. Qu’est-ce que ça m’a apporté dans ma vie, à moi ? Parce que c’est ça qu’il faut regarder, les effets sur n’importe qui, sur une personne lambda, des années plus tard. La Révolution de 1884 nous a apporté la démocratie et des droits. Mai 68 ne nous a rien apporté. Du tout. La vie de la France entière au jour d’aujourd’hui ne dépend pas de cet événement. Alors bien sûr, il s’est passé quelque chose. Des manifestations. Des prises de conscience, je veux bien. L’aspect beau de Mai 68 c’est qu’il existe uniquement dans l’esprit de ceux qui y ont participé. C’est leur eldorado. Voir la vague des films, même récents, qui en traite, The Dreamers en premier. Mai 68 a bouleversé l’esprit de ceux qui y ont participé activement. C’est un souvenir, un univers, un lieu, sans doute exaltant, sans doute magnifique, je n’y étais pas, ça dépend des souvenirs des témoins. MAIS il est totalement erroné d’affirmer que Mai 68 a eu plus d’impact que les Eurockéennes 2003 [ C’est un exemple bien sûr]. Durant ces Eurockéennes, j’ai vu Radiohead jouer pendant presque 2 heures, sous une pluie fine, serré entre 30 000 personnes, et je les ai écouté jusqu’aux dernières notes de Karma Police. Ça m’a ouvert de nouveaux horizons, ça m’a décrassé les oreilles, ça m’a permis de respirer à nouveau, de trébucher encore. C’est un souvenir. Un souvenir bouleversant. Voilà ce qu’est Mai 68, rien de plus. Le souvenir d’un événement qui a pu bouleverser des âmes et, devenant une Histoire et des histoires, est rentré dans l’imaginaire collectif. Je peux dire de même de ce concert de Radiohead, de la vie des 30 000 personnes qui l’ont vu, de l’impact des multi-diffusions tv du concert sur les générations à venir. Voilà ce qu’est Mai 68. C’est déjà pas mal, ne râlez pas.
Et aujourd’hui on ressort les souvenirs du placard à coups de mécontentement, de blocus d’université, de tribunes, de manifestations. Les gens qui n’ont pas compris ce qu’était Mai 68 se demandent si cela ne se reproduirait pas encore, et les mêmes, qui n’ont pas non plus compris ce qu’est le mouvement actuel, se demandent si tous cela ne pourrait pas finir en révolution sous l’impulsion de l’autoproclamée « génération précaire ».

Je ris un peu, j’ai le droit.
Que veulent-ils ? Quel est leur idéal ? Le retrait du CPE, une évolution de la lutte contre les discriminations envers les jeunes.
C’est ça la révolution ? Je crois bien que la majorité de ceux qui défilent ne sont pas dupes envers ce qu’on leur met sur le dos.
Ils se battent, ils mettent en danger leurs études pour une seule raison très simple à comprendre : ils veulent pouvoir travailler à vie.
C’est ça la révolution ? Les jeunes aujourd’hui luttent, affrontent les dissidents, se battent contre les CRS pour une seule raison : rentrer dans les rangs. Voilà ce que nous avons. Voilà ce qui serait censé faire peur à tout un gouvernement. Est-ce que quelqu’un se rend compte, comme moi, qu’ils rient tous sous cape ? Tous, les politiciens, théoriciens, grands patrons, sont heureux et fêtent : non seulement on leur offre une rediffusion de leurs amusements de jeunesse (Mai 68) en couleur et en direct, mais en plus on est prêt à mourir pour eux. Mourir pour leur être fidèles.
La révolution de mes rêves, ce n’est pas ça. La révolution de mes rêves est individuelle ou n’est pas. Ce sera le moment où chacun reprendra sa propre liberté. Parce que 1784 a libéré les masses (masses des pauvres, des opprimés, des mals nés), le pouvoir a décidé d’investir l’individualité de chacun. Ça a pris du temps certes, mais ça s’est développé depuis le XIX° siècle : c’est la publicité, c’est l’opinion fabriqué par les médias, c’est le sentiment d’opulence, la volonté de monter les échelons, le mythe du self made man. Tout le monde peut devenir maître du monde, avec de la volonté.
Eh bien la révolution, celle que j’attends et appelle, c’est celle qui nous fera nous rendre compte que nous pouvons être maîtres de nous-même. Ce sera le moment où les gens ouvriront les yeux, commenceront à se cultiver eux-mêmes, dans tous les sens du terme, à vouloir être eux-mêmes, à voler des bouquins, à découper des magasines, à arrêter de regarder les autres, à apprécier les instants dérisoires, à détester les grands moments, à éteindre leur radio, à faire eux-mêmes leurs vies, choisir eux-mêmes leur musique, leurs vêtements, à installer des cinémas pirates chez eux, à s’écouter eux-mêmes, à dire non, à dire oui, à reconnaître le vrai du faux, à accepter les contraintes parce qu’ils seront libres, à accepter leur liberté parce qu’ils seront contraints.
Ce sera une révolution invisible. Pas de poseurs. Une révolution individuelle. Certaines industries se casseront sans doute la gueule (Hollywood, la musique) mais tant pis. Tant qu’il y aura de l’envie et moins il y aura d’industrie, plus il y aura de la liberté.

Mais je ne suis pas sectaire. Je pense très sincèrement que je me rangerai du côté de n’importe quelle révolution, à partir du moment où elle sera sincère avec elle-même. Par exemple, certains veulent mettre fin au nucléaire, à la pollution, aux mauvais traitements, à l’exploitation et même au travail tout court. Soit, OK. Je dis banco. Mais on ne peut pas réclamer QUE cela. Si c’est cela que nous voulons, alors nous devons TOUT transformer, détruire et recréer. Une nouvel économie, un nouveau monde, des nouvelles façons de vivre.
Ce que je veux dire c’est que dans les manifestations actuelles, on réclame le retrait du CPE, la démission de Villepin et Sarkozy. J’ai envie de crier, avec tous mes poumons : C’EST TOUT ? Après le CPE, il y aura d’autres réformes du même type, il ne faut pas se leurrer. Derrière chaque Villepin il y un autre Premier Ministre avec les mêmes buts (réélection, efficacité économique). Derrière chaque Sarkozy il y en a un autre, de quelque bord ou courant politique soit-il.
Ceux qui réclament le retrait du CPE ne peuvent s’arrêter là. C’est leur devoir de demander et d’obtenir, par tout moyen que ce soit, la fin du capitalisme, l’impossibilité des délocalisations, la mise en place de systèmes équitables, de travail pour tous, de salaires pour tous. C’est communiste ? Et alors, ce n’est pas mon opinion que je donne là mais simplement la véritable révolution que sous-tendent les idées de manifestations du moment. Je soutiens, ne serait-ce que dans l’esprit, tous ceux qui vont au bout de leurs idées.

Mais la situation actuelle ne correspond pas du tout à ça. Les jeunes aujourd’hui manifestent pour pouvoir rouler dans la dernière Golf. Ils manifestent pour avoir un CDI qui leur permettra de s’endetter et d’acheter voiture neuve, maison, vêtements à la mode, etc. Les jeunes aujourd’hui manifestent POUR la société de consommation et le capitalisme.
Mais comment ne pas leur en vouloir ? On est obligé de les comprendre un minimum. Toute révolution a besoin d’un fond commun. Aujourd’hui, si on ne se leurre pas, on ne peut pas affirmer que c’est la misère est l’oppression qui est le fond commun, le ciment, des manifestations des jeunes. Non, le truc qui fait tenir ces manifestations, c’est le plus petit dénominateur commun : la connerie. Nous en avons tous en nous. Prenons les armes, sortons dans la rue, manifestons pour ceux qui se disent attaqués par nous, pour ceux qui nous utilisent.
Ou bien on peut télécharger l’intégrale des Smiths et des Kinks, se saisir d’un stylo, d’une guitare et d’une caméra, je sais pas moi, si on s’ennuie de simplement traîner, créons nos mondes à nous, donnons les à partager et si on y croit assez fort, VRAIMENT FORT, un jour nous y vivrons.